Le temps qui passe (1)

Publié le par Reveur

 
Cette nuit j’écoute des chansons mexicaines.. Je ne comprends pas l’espagnol et pourtant j’admire beaucoup les notes mélancoliques de la guitare et l’ébriété de l’accordéon.. et j’imagine cette fille effilée avec cette peau naturellement bronzée et des grands yeux marron miel et sa voix douce qui me séduit..
Dans les films western que j’aimais beaucoup, j’étais toujours fasciné par les villages perdus du Mexique, ses paysans durs mais généreux et ses filles à peau mur et aux lignes fascinants.. Ça ressemblait à mon village et me fait rappeler des belles filles que je ne vois qu’aux mariages..
 
Certes, la Mexique a changé et mon village aussi.. Les jeans ont envahit les alentours et les bodys, et autrefois, je fermais les yeux et j’imaginais discrètement la sublimité des corps des fillettes de quinze ans que je fixe pendant la cérémonie de quinze heures où les traditions permettaient aux garçons de s’aligner dans un arc de cercle cote à cote aux jeunes filles prêtes au mariage.. C’était la seule occasion où il faut choisir sa future épouse..
 
Trente ans plus tard, j’aime toujours la Mexique et je m’en fous des jeans et des bodys, et pendant les rares occasions où je rentre à mon village, j’aime toujours fixer les visages des fillettes qui ont l’age de ma fille et je me rends compte du temps qui a passé..
 
Je vis ou je vis pas ? Une bizarre question qui raisonne toujours dans ma tête quand le sommeil me fuis. Je reste souvent collé à mon écran et les touches de mon clavier m’attendent. Rien ne sort et machinalement je tape les lettres de la même question : Je vis ou je vis pas ?
Dans le vide qui m’envahit et les notes de la guitare mexicaine qui m’emportent, je me livre à le retaper encore une fois, et à l‘aide des outils de mon éditeur, je la copie n fois comme on faisais pour les punition d’autre fois à l’école primaire :
Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? Je vis ou je vis pas ? ..
 
Des pages et des pages se remplissent sans même affecter mon attention et quand je me rends compte de mes conneries, j’éclate de rire.. Après tout, à quoi bon !! Je ne suis pas suicidaire et je ne vais pas me tirer une balle à la tête comme disait une amie..
Je l’aime cette fille qui me rappelle ce beau garçon que j’étais.. J’avais son charme et son intelligence et la belle humeur et beaucoup d’espoir et de persévérance..
Persévérance ?! rire.. J’ai trop aimé quand elle m’a corrigé au téléphone, j’ai voulu utiliser le verbe et il m’a échappé, je ne savais s’il était « préséverer » ou persévérer..rire..
 
Elle me parlait toujours de ses livres et moi, qui reprends timidement à tenir un bouquin, elle en fait une victoire et ça me plaît.. Je lui ai raconté la scène de cette fille qui montait le bus avec un livre à la main et qui s’est perdu dans ses pages dès qu’elle a pris le siège. Ça m’a beaucoup plu et j’avais envie de lui parler pour juste lui dire que je dois la féliciter. Qui ose de nos jours de lire un livre ? et pour une fille !! Ça serait un magazine féminin où les trucs de minceur et des cosmotiques sont à gogo mais pas un roman même si c’était un roman facile à lire..
Mon siège était au niveau du sien et ma curiosité m’a poussé à fixé le titre de son bouquin : « Le Sahir » de Paolo Cohelo.. Un auteur latino-américain qui a écrit l’alchimiste, je connais le titre mais je ne l’ai pas lu.
 
Peu importe ce qu’elle lisait, ce qui est beau, c’est qu’elle valorise ce temps neutre qu’on passe collé à un siège tout au long d’un voyage qui peut durer des heures..
Moi, quand j’avais cette belle habitude de m’investir dans la lecture, je lisais tout ce qui me tombait aux mains. N’importe quoi et je n’étais pas sélectif, rien ne fait d’un Balzac plus noble qu’un simple roman policier. On apprend toujours des choses en lisant, à la limite, on performe sa langue et on peut aimer toujours des passages qui plaisent..
Mon amie m’a dit qu’elle avait espéré discuter avec moi des lectures plus fortins.. J’ai tout oublié..
 
Maintenant.. Je ne vis plus, je vis pour les autres..
Je suis juste ce père qui se perd dans les factures et les payements, ce fonctionnaire qui s’investit dans le boulot comme si son boulot lui plaisait vraiment, ce citoyen qui aime la patri et respecte la loi.. Je ne vis plus pour moi..
Autrefois je faisais d’un simple bouquin un amour, maintenant, j’ai assassiné mes amours et je manque toujours d’amour..
Et l’amour a changé..tout comme mon village et le Mexique.. Même mon amour pour mes gosses a pris la forme d’un frigo plein de trucs précuits et prêts à avaler..et que je dois toujours charger, seuls les moments où ils toussent d’une grippe qu’ils choppent ou d’une fièvre qui surgit, je sens cette chose qui se remue en moi et me fait attendrir le cœur durci..
Eux, ils rêvent toujours de ces moments où je jouais avec eux pour des heures.. Nous entreprenons des scènes des folies bergères et nous faisions des tas de trucs qui leur plaisaient et ils insistent souvent que je fasse pour eux ce mulet qui porte deux grands couffins : c’était eux qui tiennent chacun les pieds de l’autre.. Leur mère – dieu lui pardonne – attrape une crise de nerf parce que nous risquerions de bousiller ses matelas ou abîmer ses coussins…
Et à quinze ans, je ne peux plus serrer ma fille, sa poitrine prend inévitablement de la forme, je lui ai appris de veiller sur son corps. Quant au garçon, il s’en fous éperdument de moi et quand je rentre du boulot il me lance un salut sans même lever ses yeux de son écran et son casque toujours aux oreilles et mon « Salut mon grand !! » se perd dans son rap qui n’arrête jamais…

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