Le plaisir d’écrire (1)

Publié le par Reveur

Il y a quinze ou vingt ans, on se joignait par poste et le téléphone était un confort. J’ai vécu l’époque où il fallait attendre l’opératrice du téléphone vous annoncer la plus part des cas que votre numéro est erroné ou qu’il ne répond pas.

On écrivait des lettres pour s’expliquer sur un truc ou s’informer et dans mon Rif, on m’appelait souvent quand j’étais en primaire pour écrire à leurs fils ou leurs époux immigrés en libye. Je passais des moments pénibles à subir les caprices des correspondants, à raconter tout et n’importe quoi et à dresser la liste des salutations et il ne faut surtout pas que j’oublie quelqu’un. J’étais doué et on me félicitait pour ce don. La plus part de mes amis ne savent ni lire ni écrire bien qu’ils soient en sixième. Rédiger correctement une lettre n’était pas une tache facile alors que c’était l’enfer de lire celles qui parviennent.. Des écritures déformées jamais enseignées à notre école, des rédactions bizarres et des termes que je ne connais pas encore où seraient-ils tout simplement mal orthographiés !!

Les gens s’entouraient autour de moi, les femmes qui m’interpellaient : Qu’est ce qu’il a dit à ce sujet ? Quand va-t-il rentrer ? Et sa santé ? M’a-t-il cité dans ses bonjours ?? De l’enfer !! Comme si je venais de le rencontrer !! J’étais obligé de mentir parfois pour faire plaisir aux femmes qui insistaient et j’improvise des choses pour les vieux impatients et les petits qui pleurent..

Quand j’écris, je laisse toujours mes traces, je cite l’auteur qui est moi pour qu’on me remercie ou je ne sais quelle raison.. et il y avait un truc qu’on doit pas omettre selon la tradition de l’époque : Ecrire deux inscriptions sur les deux coins extérieurs de l’enveloppe :

1.      « Voyage en paix » désignant la lettre.

2.      « Merci au facteur » pour qu’il aie la gentillesse de ne pas la détruire.

C’était il y a trente ans, des lettres qui mettaient tout un mois pour arriver.

A l’époque, j’écrivais parfois des lettres imaginaires, j’ai développé cet amour d’écrire et quand j’ai grandi un peu, j’écrivais des mots aux filles du collège qui me plaisaient et j’étais contraint de glisser discrètement ces lettres anonymes dans leurs cahiers ou leurs affaires, je n’avais pas l’audace de signer, peut être bien que j’avais peur de leurs réactions. J’attendais qu’elles devinent que c’était moi sinon mes petites histoires tombent facilement à l’oubli et j’oublie rapidement avoir écrit quelque chose.

A quinze ans, je deviens un peu un homme !! Je découvre l’amour, enfin quelque chose qui lui ressemblait et, avec l’envie d’inventer et l’amour d’écrire, je composais même des poèmes. Au programme du collège, on étudiait la poésie et les œuvres de Manfalouti, et à la bibliothèque du lycée, je dévorais les romans de Mahfoud, Ihsan Abdelkouddous et les séries de George Zidane qui parlaient surtout d’amour.. C’était le bon vieux temps.. Je donne ma vie pour y revenir !!

Quand j’ai connu ma femme, je passais des nuits entières à lui écrire.. Des centaines de lettres qu’elle n’a jamais lues. Puis, sur un cahier 5x5 de marque Surta, édité et distribué à l’époque par la seule société :Societe Tunisienne De Diffusion SOTUD qui n’est plus maintenant, j’écrivais chaque jour.. Je ne voyais ma fille que très rarement, je ne lui ai jamais parlée les premières années. Je la voyais brièvement chez des voisins ou à la saison des mariages mais je l’ai aimée avec toutes mes forces !! Je l’ai aimé comme je le pouvais !!

Je la connais mais je ne connais presque rien d’elle, j’ai laissé mon imagination improviser une superbe image de la femme que j’aime et je la collais à ma fille.. J’ai fais ça pour des années, j’étais paysan et je n’avais rien d’autre à faire que d’aimer en silence et à ma façon et puis, il n’y avait pas d’autres filles qui airaient m’impressionné, et même s’il y en avait, ça serait la même chose, je ne peux leur parler, les connaître de près, arranger des rendez-vous où sortir en duo.. C’était un crime dans mon village !! 

Ayant mon bac, j’ai quitté pour de bon mon village. À la fac, j’étais dans une école d’ingénieurs et nous étions deux cent quarante cinq étudiants à l’époque dont quatre seules filles et les garçons s’entre-tuaient pour les séduire, je n’avais pas les atouts pour me classer aux premiers rangs. En ville, j’étais nul en filles, et puis ce caractère de fidélité de paysan hérité m’empêchait de chercher ailleurs !! Une fille dans ma vie ?? J’en ai une ! De l’amour, je connais !! Je suis toujours amoureux de la même fille à qui je n’ai jamais parlé !!

Ce n’est qu’après avoir fini mes études que je dois me consacrer à mon amour. Chose promise, chose faite !! Pendant les deux années de chômage que j’ai passées chez moi, je ne faisais qu’aimer et aimer davantage mais.. ma fille a déménagé avec ses parents en ville, j’ai cherché vainement un travail sans succès mais c’était un moyen de la voir. Timidement on se rencontrait et elle ne parle presque jamais, j’ai su qu’elle m’aimait elle aussi, ses cousines m’ont parlé de son amour mais elle n’a jamais su me faire une déclaration.

Cela m’a largement suffi !! J’étais toujours paysan qui est juste allé à la fac !! 

Quand on m’a recruté à la fonction publique, j’étais nommé à quatre cent kilomètres de chez nous et je rentrais rarement. Le célibat, c’est les soirées, les bières et les filles comme tous les garçons mais mon amour demeurait toujours dédié à ma fille de quinze ans. Je lui envoyais des lettres d’amours, mes vieux poèmes et mes récits et elle me téléphonait quelques fois au bureau..

Je n’ai pas assez perdu de temps et nous nous sommes mariés simplement et rapidement, j’avais un beau salaire et le mariage ne m’a pas coûté cher..

Quelques jours après, j’ai découvert qu’elle ne savait pas lire. 

Secoué par la découverte, je n’avais rien à dire.

Je n’arrive même pas à me souvenir de ma réaction. Seule chose, je faisais le silence. Les lettres et les mots n’ont plus de valeur. J’ai brûlé tout simplement ce qui restais de mes écrits, c’était la seule action dont je me souviens encore. 

Et alors ??

Elle ne savait pas lire !! Ce n’est pas un crime. Elle peut apprendre et serai son amour, son époux, son maître, son sauveur.. C’est l’amour qui l’a emporté et j’ai pu tolérer son handicap. Enfin !! Si ce n’est pas son amour qui accepte ses défaillances, qui le fera ??

J’étais..con !! Trop bon, mais con.

Il y avait deux raison pour que je sois con : me contenter d’un amour fou et stupide que je concevais seul et je le collais à ma fille, je n’ai pas étudié les conditions de survie d’un tel amour, moi, le bien instruit, épousant une fille illettrée !! Quelles sont les chances de réussir mon mariage ?? La deuxième : elle a ingénieusement évité que je le sache. M’a-t-elle trahi ?? 

En fait, je n’ai jamais pensé de cette manière. Je ne le pense même pas aujourd’hui. Mais vivre dans une telle situation était vraiment, vraiment difficile.

 Aussitôt, j’ai entrepris des séances d’apprentissage. Elle n’a jamais réussi à avancer et elle oubliait vite ce que je lui apprenais. On recommençait mille fois les mêmes leçons mais elle n’apprenait pas et elle tombait dans des crises de pleures :

-        Je n’arriverai jamais, je le sais, tu n’es pas obligé. Tu vas me détester et tu vas chercher une autre femme !!

Je la consolais toujours. C’est dans son intérêt qu’elle doit apprendre à lire et à écrire !! Ce n’était pas pour moi !! Mais elle prenait le sujet du mauvais coté et elle n’a pas su le dépasser. Dès le premier jour, elle pense déjà que je vais la quitter !!

J’ai fini par abandonner. 

Ma vie a changé.

Et elle est jalouse de mes livres et de mes revues. Quand j’amène du travail à la maison et que je demande à être seul au salon, c’est certainement des lettres d’amour que j’écrierais à une autre femme. Quand elle tombe sur un papier dans mes poches, c’est l’adresse de ma maîtresse.

Je l’aimais et je n’ai jamais songé à la trahir mais comment pourrais-je la convaincre ?? 

Bref, notre premier enfant est venu au monde. Cela doit nous rassurer. La maman en elle m’a libéré un peu et elle ne me harcelait plus avec ses doutes et ses soupçons. Pensait-elle que le fait d’avoir un fils de moi la rassurait que je ne voudrais pas la quitter ?? Je n’en sais rien.

La vie a continué et des différences ont surgi, nous n’avons jamais réussi à nous entendre sur un truc, nous pensions différemment et je ne pouvais pas tolérer des bévues chez moi. C’était chez moi et ça doit marcher à ma façon néanmoins au-delà d’un certain seuil où je dois trancher et imposer mon rythme, je ne peux pas m’anéantir pour m’adapter à son niveau. Et l’enfer commence.

Franchement, je l’aimais. Je détestais sa façon de raisonner et de d’agir. Nos disputes se sont accentuées même pour un rien alors que je rêvais d’une femme qui sourirait pour une gaffe que je pourrais commettre et me dirait : « t’en fais pas mon amour, je sais que tu ne l’a pas prémédité, je t’aime et cela me suffit »

Je m’attendais à ce quelle témoigne un peu de reconnaissance pour l’avoir aimé quinze ans de ma vie, l’accepter avec le risque de pas parvenir à supporter des défaillances, je faisais ce que je pouvais mais elle ne sait que me rendre la vie de plus en plus difficile. Je ne dois pas toucher à un papier en sa présence, je ne dois parler en français au téléphone et elle m’espionnait au bureau au cas où je travaille avec des filles.

Des fois je me demande, quelle ingéniosité ont les femmes pour détruire un amour ?! 

J’ai commencé à détester les femmes, toutes les femmes. Au boulot, j’ai découvrait les collègues qui trahissent leur époux et les jeunes filles qui sont prêtes à porter. En ville, j’ai l’impression que tout le monde trahit tout le monde et je me demande comment tous ces mariages ont résisté. En été, quand commence la saison des klaxons et des défilés, je pense à l’enfer qui attend les jeunes mariés pendant que les autres chantaient et dansaient. Au foyer, je n’arrivais plus à désirer ma femme et cela a accentué ses soupçons.

Dans le logement administratif que j’occupais, j’ai aménagé un bureau, je me suis payé un ordinateur et je passais toutes les nuits à faire n’importe quoi avec mon clavier et mon écran. C’est là que commence mon amour pour l’écriture. Le français m’a libéré de mes entraves.

Je racontais ma vie. J’imaginais des vies. Je concevais des histoires où j’étais toujours le héro. J’écrivais toujours en m’adressant à quelqu’un comme si je lui parlais. En fait, l’envie de parler à ma femme n’a jamais baissée mais elle n’est plus la femme à qui je peux parler ni le vouloir, un mur nous séparait et chacun de nous vivait dans son monde à lui. Elle implorait son destin et je plongeais dans le silence faisant de mon PC l’amie, l’amour et l’épouse.

Mon PC !! Oh mon cher PC !! D’un modèle dépassé et je tiens toujours à lui. J’ai changé sa carte mère, son processeur, ses cartes filles et son lecteur mais je tiens toujours à lui. Je suis fidèle de nature. Si seulement je ne l’étais pas !!

Nous avons fini, ma femme et moi, par nous séparer, il n’y avait plus de raison pour rester ensemble. Elle garde les enfants et je vis seul. Je retrouve enfin la paix.

Des femmes dans ma vie, il y en a plus. Des amies ? Oui !! Et certaines me sont vraiment chères mais je préfère qu’elles restent toujours des amies. Je ne peux certainement pas réussir une autre union, quelque chose en moi est détruite à jamais.

Publié dans Je raconte ma vie !!

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