Pour l'amour de ma mère...

Publié le par Reveur

Trois jours de fêtes.. Trois jours de faux bisous, de fausses félicitations, de causeries, des gens qui s’intéressent soudainement à moi, qui m’interrogent sur le moindre détail de ma vie.. Comment je fais, comment je mange, comment je dors, comment..comment je prends ma douche, quel chemise je porte et quel sous vêtement !! Des cousines et des voisines me prennent à coté à tour de rôle pour chuchoter et me pincer discrètement la cuisse..et..et je dois garder l’humour et sourire à tout le monde.. je ne veux pas surtout décevoir les jeunes filles qui ont entendu parler de moi..ce parent divorcé qui travaille très loin.. Je ne suis pas encore divorcé !! Je vis une séparation qui a tout simplement duré !! Une procédure qui traîne..

J’ai découvert qu’il est dur d’être divorcé même pour un homme!! 

Toute la journée, on ne parle que de moi !! Les voies se baissent quand on m’aperçoit venir prendre une affaire ou demander un truc et des filles voulant se montrer aimables se hâtent pour me servir, énumèrent mes qualités d’homme encore jeune, séduisant, cultivé et travaillant à l’université !! Elles me collent volontairement des mérites, des vertus et des aptitudes que je n’ai nullement et s’acharnent à ma future ex-femme pour la traiter de toutes les nullités et les décrépitudes !! Pauvre femme !!  

 

Au début, cela m’a musé un peu, ça a réjoui mon orgueil d’homme et a satisfait mon égocentrisme mais au bout d’un certain temps, j’ai commencé à m’ennuyer. Je faisais attention à paraître heureux quand je croisais ma mère qui souffrait vraiment, je l’embrassais tout le temps et je la présentais aux autres femmes comme ma future fiancée, je dansais avec elle dans le couloir pendant que les filles nous applaudissaient et la prenais dans mes bras comme une petite fille. Elle a maigri ce dernier temps et sa santé m’inquiète vraiment. 

Le reste du temps, je fuyais la foule et je fumais.. Je marchais tout au long des terres désertiques, je suivais les sentiers que j’avais traversés autrefois pour l’école, il y a trente ans. Ici, j’ai vécu, j’ai passé une malheureuse enfance, j’ai grandi dans la pauvreté et j’avais pourtant une remarquable intelligence qui m’a permis de suivre des études à la faculté.. Quel paradoxe !! J’aurais préféré rester dans l’ignorance et ne jamais quitter ce bled, me marier d’une cousine et avoir un troupeau d’enfants et je serais heureux comme tout le monde !!

Les coutumes faisaient que l’après midi de l’aïd, les gens se visitaient. Les parents se déplaçaient en famille, toute la famille, les vieillards, les adultes, les petits et les bébés et on ramène parfois même le troupeau des moutons pour pouvoir passer la soirée en grande famille en toute tranquillité !! On se réconciliait et on oublie les disputes au moins les jours de fête. Il devrait faire plus de vingt cinq ans que j’ai quitté mon village et quand je reviens une année sur quatre passer quelques jours, je me déplaçais souvent en ville régler une affaire ou visiter un ami de collège. Les bébés et les enfants que j’ai laissés toutes ces années ont grandi et je n’arrive plus à me souvenir d’eux, des jeunes qui se coiffent à la marinz et mettent beaucoup de gel, des filles admirables avec des beaux yeux et des corps bourgeonnés. Je me sens étranger chez moi !! J’ai tout simplement l’air d’être l’invité d’honneur !!

 

Je déteste les fêtes.. je déteste la famille, la grande famille, les parents que je ne connais pas les noms, les petits enfants qui bourdonnaient, les rires, les pleures, les disputes, les insultes des leurs mamans..la pagaille de l’Aïd.. Mon bureau me manquait !! La porte étanche, le radiateur du chauffage central sur lequel je mets souvent ma tasse de café pour la tenir à chaud, une musique sélectionnée ou les news de RFI capté en live sur Internet, et le soir, quand je rentre chez moi, c’est dans ma chambre de tout que je retrouve la paix !! Je mets aussitôt une chaîne de news à la télé, je démarre mon PC, je branche le bain d’huile et je mets un joking. 

Le calme !! J’adore le calme !! Quand je m’ennuie, je téléphone.

Ma chambre !! C’est à la fois un salon, un bureau et une chambre à couchée et j’aurai préféré que si elle ouvrait sur la douche et sur la cuisine comme une chambre d’hôtel mais j’ai été obligé de payer le loyer d’un appartement de deux autres chambres que je n’utilise presque jamais, je refuse la colocation et je n’invite pas. Seule faveur, un bacon qui donnait sur la rue où je restais parfois un bout de temps à observer les gens qui passaient et m’amuser à faire des statistiques !!  

 

Chez mes parents, je supportais mal le bourdonnement des femmes qui discutaient à très haute voix, ça étourdissait mes oreilles et me donnait une migraine pour le reste de la journée. Cela faisait deux longues années que je n’ai pas vu ma mère et j’ai été obligé d’y passer ces trois longues journées de fête juste pour lui faire plaisir. La nuit, elle passait tant de fois pour vérifier mon coussin ou si je manquais de couverture, elle m’appelait tendrement mais je faisais semblant de dormir, elle finissait par quitter laissant traîner ses prières..  

 

La nuit, c’est encore le meilleur moment pour admirer la beauté du Rif. Le calme absolu sinon les aboiements d’un chien qui me parvient de très loin, la voûte céleste décorée par des milliers d’étoiles qui brillent, le clignotement des feux d’un avion long courrier qui passe ou d’un satellite qui espionne.. Je prends mon tabac, mon briquet, mon portable et le thé de maman et je me dissous dans l’obscurité.. Ici et là des petits souvenirs d’enfance qui font vibrer le cœur estompé par la routine d’une vie qui manque de saveur, un travail qui me prend et une famille disloquée.. Je pense à ma fille de treize ans qui manque de ma présence paternelle, au téléphone, elle m’a dit que l’aïd n’aura aucun goût et sa voix s’est étouffée dans ses sanglots..

La nuit, c’est aussi les blessures qui se réveillent, les chagrins d’une vie ratée et d’un amour qui s’est volatilisé par l’usure d’une vie conjugale rebattue…

Quelle belle nuit qui manque d’une présence.. J’ai fouillé machinalement dans mes poches cherchant mon tabac et j’ai allumé une autre cigarette.. Que ferai-je de cette nuit sans pouvoir embrasser quelqu’un, l’entourer de mes mains et sentir un parfum qui peut réveiller mon défunt désir..

Plus d’amour et plus de femme avec qui partager hardiment la joie des fêtes, l’embrasser tendrement le matin sur la joue et la surprendre d’un petit cadeau soigneusement choisi et voir jaillir la joie de ses yeux.. 

 

Je déteste les fêtes et quand est-ce que je peux retrouver mon job que j’ai épousé pour le bien et pour le pire jusqu’à ce que la mort nous sépare…

 

 

Publié dans Je raconte ma vie !!

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